Notes en marge de la scène dite «de reddition des comptes» dans le mastaba de Mererouka

Published on Egyptological, Magazine Edition 3, December 7th 2011

Etienne Vande Walle
Also available in English.

 

Introduction

Le mastaba du Mererouka. Photo Kate Gingell

Le mastaba du Mererouka, dit Meri, se situe à Saqqara, à proximité de la pyramide de Teti, jouxtant la tombe préexistante de son collègue  Kagemni. Tous deux ont accédé au vizirat sous le règne de Teti, au début de la  VIe dynastie. Le vaste bâtiment se divise en trois parties, hébergeant outre le défunt, son épouse Seshseshet (fille de Teti) et leur fils Meryteti. Ceux qui ont visité la tombe n’auront pas manqué de remarquer, en début de parcours, une scène décorant la paroi gauche, dans sa partie inférieure, du long passage menant à la section A réservée à Mererouka. (Porter & Moss 3:2, p. 523 – 537, plan LVI emplacement 23).

 

Liens informatique

Le lecteur pourra utilement consulter l’ouvrage de Duell, The Mastaba of Mereruka, disponible en ligne (Oriental Institute of the University of Chicago, OIP 31) et plus particulièrement les planches 36 et 37.

L’ensemble de la scène est également représentée avec une grande lisibilité dans la partie du site Osirisnet consacrée au mastaba (page 3, images ww-1a, 1b, 1c et 1d).

 

Description

La scène comprend 3 registres, dont seul  celui du bas est conservé sur toute sa longueur ainsi que la partie inférieure du second et son extrémité droite, laquelle est également préservée sur une petite surface du registre supérieur. Sur le registre conservé figure à gauche une construction soutenue par des colonnettes à chapiteau lotiforme abritant 3 personnes. Assis à l’extrême  gauche, et en partie détruit, figure un dénommé iHy qui porte les titres sAb imy-r… (horizontal) et Hry sStA n ist aAt (vertical). Il tient un document : la position de la main sur la partie conservée du bas-relief s’apparente à celle intitulée «cradling the document» par der Manuelian (1996, p. 572, fig. 4).   Devant lui est posé un matériel scribal. Lui font face deux scribes accroupis, le calame à l’oreille, occupés à écrire. Il s’agit de qAry, qui porte le titre de sAb sS et de   nianxXnmimy-r pr.

La plus grande partie de la scène est occupée par une théorie de comparants – tous HqA Hwt  – , accompagnés de gardes dont la plupart sont munis de bâtons. Elle se termine par la représentation d’une bastonnade. En tête de peloton, immédiatement face  aux scribes (qui leur tournent le dos), figurent 3 personnages dans l’attitude symbolisant soumission et respect (Wilkinson, 1999, p. 208). Il s’agit, dans l’ordre, de mrri et de wHm.j (Ranke, II, p. 83/1), tous deux HqA Hwt et mDH sS nswt, ainsi que de gfgf (Ranke, II, p. 350/26), HqA Hwt et sS a nswt xft Hr. Vient ensuite , entre deux gardes dont le dernier brandit un bâton, nDm-ib qui est HqA Hwt et imy-r sS aHwt. Suivent enfin mAw, HqA Hwt et imy-r sS mrt et imSttw (?)(Ranke, II, p. 32/13), HqA Hwt et sAb imy-r sS de part et d’autre d’un garde armé d’un bâton. A l’extrémité droite du registre est figuré la bastonnade du HqA Hwt, imy-r sS aHwt ptHSpss, assortie d’un commentaire que Montet (1925, p. 148) traduit : «Approche le du poteau». Poteau qui est surmonté de deux têtes d’étrangers représentées de profil (voir Beaux infra), contre lequel ptHSpss est maintenu par un garde lui tenant les mains, tandis que deux de ses collègues manient leur bâton en vue d’exécuter la peine. Les rares détails qui subsistent du registre médian laissent supposer une scène présentant la structure suivante : à gauche, un personnage incarnant l’autorité faisant face à un homme debout et à deux scribes accroupis, derrière lesquels s’avance une fille de comparants. En fin de registre, un homme nu, agenouillé, le bras passé au-dessus d’un bâton tenu par un garde, subissant selon toute vraisemblance également un châtiment.

 

Titulatures

Mererouka
Mererouka. Photo Kate Gingell

La figure dominante est celle de iHy, sAb imy-r... et Hry sStA ist aAt. Plusieurs combinaisons sont possibles entre sAb et imy-r à telle enseigne qu’il n’est pas possible de compléter le premier titre avec une totale certitude. Moreno Garcia (1999, p. 227, note 63) y voit, fort vraisemblablement, un «chef des scribes». Quant au second titre, le même auteur le traduit par «secrétaire de la Grande Chambre». Il s’agit d’un titre isolé, qui ne se rencontre, à notre connaissance, pas dans d’autres titulatures. La composante is(t) figure régulièrement en conjonction avec imy dans la titulature de plusieurs vizirs (iynfrt, wASptH isi, sSmnfr III, kAgmni) et pourrait être le Palais ou un département administratif  qui y a son siège  (voir  Hannig : HL4 p. 77, n° 1703; p. 217, n° 3798). iHy côtoierait donc le pouvoir central. Il est assisté dans ses tâches par un sAb sS et un imy-r pr. Traduire le premier de ces titres par «juge» est une démarche risquée (Vande Walle 2010, p. 328-332; 2011, in fine): nous y voyons plutôt un scribe spécialisé en matière judiciaire. L’imy-r pr est quant à lui un intendant.

Toutes les personnes qui comparaissent devant iHy et ses assistants portent le titre de HqA Hwt assorti d’un autre titre. HqA Hwt est toujours mentionné en premier lieu : ce serait donc la qualité fondamentale  génératrice de  la compétence de iHy  et de l’organe qu’il préside.  Les autres titres des comparants sont : imy-r sS aHwt (2); imy-r sS mrt (2); mDH sS nswt (2); sAb imy-r sS (1); sS a nswt xft Hr (1).

Remarquons que le groupe des trois HqA Hwt qui vient en tête compte les 2 mDH sS nswt et le sS a nswt n xft Hr – soit les comparants dont le titre fait référence au Roi. Strudwick (1985, p. 215-6) a analysé le premier de ces titres, et suggère qu’il aurait connu à la 6e dynastie une importante déperdition de rang se traduisant dans l’attitude de mrri et wHmi («prostrate before taxing officials»). Le même auteur aborde le titre suivant (o.c. p. 211) qu’il complète avec pr-aA pour faire suite à xft-Hr..Il discerne une évolution au terme de laquelle le titre sS a nswt xft-Hr (pr-aA) aurait gagné  quant à lui en importance à cette époque. Ce qui n’empêche pas que gfgf adopte la même attitude de soumission que ses «co-comparants». Quoi qu’il en soit, la compétence ratione personae de iHy ne se limite pas au vulgus pecus.

Les imy-r sS aHwt et imy-r sS mrt exercent leurs fonctions dans le secteur agricole : les premiers sont actifs dans l’administration des champs (Hannig HL4, p. 116, n° 2259 : Schreibervorsteher der Felderverwaltung) tandis que les seconds s’occupent de la gestion  d’une catégorie particulière de  personnel qui a notamment été étudiée par Moreno Garcia (1998; également Allam, 2004), s’agissant des mrt, proches des rxyt, en opposition avec les pat, se différenciant des bAkw, s’identifiant à des corvéables temporaires, recrutés parmi  la population villageoise. L’auteur signale (o.c. p. 79) «l’importance des mrt lors de la mise en valeur d’un terrain jadis improductif et de l’exploitation de terres en régime de corvée (st-skA), ce qui suggère qu’ils n’étaient pas soumis à une servitude permanente, mais recrutés et contraints d’effectuer des travaux au profit de l’Etat».

Quant à sAb imy-r sS, il s’agit d’un titre largement répandu (nous en avons relevé plus de 80 occurrences à l’Ancien Empire), qui vient en conjonction avec nombre d’autres titres relevant du domaine judiciaire. iHy n’y serait pas étranger dans l’hypothèse  où il porterait le même titre que le ptHSpss soumis à bastonnade, lequel ne fait pas pour autant l’objet d’égards particuliers !

Restent enfin les acteurs principaux, soit les HqAw (Hwwt), qui ont fait l’objet d’une étude exhaustive par Moreno Garcia (1999), aux termes de laquelle il campe un fonctionnaire d’Etat, chargé de la gestion d’entités territoriales, investi de sa fonction par le Pharaon,  représenté dans les tombes «soit en train de contrôler des activités agricoles, soit en train de rendre des comptes auprès de la DADAt…(laquelle travaille) pour le roi et non pour le propriétaire de la tombe» (o.c. p. 231). L’importance du rôle qui lui est imparti fluctue durant l’Ancien Empire où sa présence est attestée depuis la période archaïque jusqu’à la fin de la VIe dynastie, compte tenu des réformes administratives qui furent menées. A l’époque de Mererouka, qui nous occupe, soit le début de la VIe dynastie, «le nombre de HqA Hwt augmente de manière spectaculaire, dans les sources égyptiennes, notamment en province».

 

Analyse

La scène a fait l’objet de nombreux commentaires : l’éditeur de la tombe précisait en 1938 qu’elle  représente des «village headmen being brought before local tax officials» (Duell, pl. 36). Erman – Ranke (1976, p. 132)  sont d’avis qu’il s’agit d’une «juridiction spéciale pour les biens fonciers», chargée de «contrôler les listes de bétail et les maires de village, en retard de paiement des redevances de leurs paysans». Strudwick (1985) y voit une comparution devant des «taxing officials». Beaux la situe dans le contexte d’une reddition de comptes, la faute commise par ptHSpss étant spécialement lourde, ce qui motive la gravité de la peine (cfr. supra). Wenke (2009, p. 286, fig. 6.5) y fait référence pour illustrer le pouvoir de l’Etat au travers de la posture agenouillée des comparants, la qualifiant  pour le reste également de reddition de comptes. Moreno Garcia (1999, p. 227) faisant expressément référence à la scène qui nous intéresse (o.c. note 63). y discerne la mise en oeuvre d’un contrôle sur le personnel subalterne du pr-Dt, parmi lequel il range les HqAw (Hwwt) – contrôle exercé par un Conseil (DADAt).

Le bas relief, tel qu’il se présente actuellement à nos yeux ne comporte pas d’inscriptions identifiant l’autorité ou précisant un quelconque champ d’activité. Peut-être celles-ci figuraient elles sur la partie détruite de la paroi.

Les HqAw  et la DADAt nt pr-DT

Un des principaux éléments caractérisant la scène est la comparution des HqAw Hwwt, thème connu dans les sépultures d’Ancien Empire. Dans plusieurs tombes, l’autorité devant laquelle ils se présentent est expressément nommée : il s’agit de la DADAt nt pr-Dt, s’identifiant à un conseil «qui fonctionnait à la fois comme un organe administratif et comme un tribunal dans les grands domaines de l’Ancien Empire» (Menu, 2004, p. 180). Philip-Stéphan (2008, p. 24-5) en décrit les attributions : «Chargée d’administrer les différentes unités agricoles composant cet ensemble, elle a notamment pour fonction de recenser, d’enregistrer les productions du domaine et de vérifier leur concordance avec le rendement escompté. En cas de malversations, de détournement ou de manque de rentabilité suspect, elle peut alors agir comme un tribunal et condamner les intendants défaillants». Moreno Garcia (1998, p. 228) fournit une précision importante : «la DADAt des scènes des mastabas semble représenter les conseils de dignitaires memphites détachés en province afin de surveiller les autorités locales et de contrôler les ressources du royaume». Il y aurait transposition «au domaine de l’iconographie privée» d’une «pratique administrative ordonnée, en fait par la couronne dans le monde réel».

Nous avons relevé trois occurrences d’une comparution des HqAw devant la DADAt nt pr-Dt expressément nommée, soit :

axtHtp : 05 dyn. (ép. Niouserrê), Saqqara (prox. de Ounas), PM 3:2, p. 634, plan LXV, emplacement (3), reg. VII; Musée du Louvre E 10958; Ziegler, Mastaba d’Akhethotep, pp. 125 sq.; voir également le site  http://www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/saqqara/fr/home.htm

Plusieurs HqAw sont menés devant la DADAt nt pr-Dt, composée de 2 scribes et d’un iry mDAt (tous sans titres) par trois assistants armés de bâtons. Le premier des comparants est imy-r Tst, s’agissant d’un directeur des troupeaux (HL4 p. 138, n° 2352) ou d’un contremaître (Ziegler, Akhethetep, p. 151). La scène est assortie d’une légende : Hsb HqAw in DADAt nt pr-Dt.

kA(i)mnfrt : 05 dyn. (ép. Niouserrê);  Saqqara (N. de Djeser), PM 3:2, p. 467 – 8; Simpson, The Offering chapel of Kayemnofret, pl. E.; Mariette, Mastabas, 242 – 9;

Un imy-r pr fait face à 2 scribes assis lesquels tournent le dos à un personnage qui se dirige vers eux, dans une attitude décrite par Vandier (1964,p. 196, fig. 83,4) assimilable à celle d’un scribe, suivi d’un assistant forçant un comparant à se courber. La scène est sommée de l’inscription Hsb Hkawy (sic) in DADAt nt pr Dt, le seul comparant figuré étant surmonté de la mention int.

Ti : 05 dyn. (ép. Niouserrê : voir Cherpion, Datation, p. 132); Saqqara (N.-O. de Djeser : mastaba D 22), PM 3:2, 468 sq.; Osirisnet, mastaba de Ti.

Le mastaba de Ti contient plusieurs représentations de la DADAt nt pr-Dt, celle qui nous intéresse  ici étant localisée dans la chapelle, paroi S., partie centrale (photo Osirisnet CHSc_R34). Pas moins de 9 personnes, toutes assises au milieu d’un imposant matériel scribal, constituent la DADAt. 5 d’entre elles portent le titre de scribe (sS) et une celui de iry mDAt. Face à eux s’avancent 3 comparants, empoignés par des assistants dont certains sont munis de bâtons. DADAt et comparants sont séparés par une inscription : ipt in DADAt nt pr-Dt, tandis qu’au dessus du groupe des comparants figure la mention iTt HqAw nwwt r Hsb.

Ces trois occurrences, qui datent de la même époque et proviennent de Saqqara, présentent la particularité de qualifier chacune l’action à laquelle procède la DADAt nt pr-Dt, soit Hsb HqAw. Il existe un certain flou parmi les auteurs quant à la traduction du verbe Hsb. Nous nous rallions personnellement à celle qui y voit une reddition des comptes, en nous basant notamment sur la signification du terme Hsb en matière comptable (Megally, Recherches, p. 60). Cette reddition devait nécessairement donner lieu à l’examen des données produites par les HqAw et aboutir le cas échéant à des sanctions pouvant prendre la forme d’une bastonnade. La scène du mastaba de Ti présente la particularité d’associer les actions Hsb et ipt, cette dernière pouvant se traduire par «recensement» (voir nt. Bonnamy & Sadek, Dictionnaire, p. 45). Dans la mesure où pareille action a pour finalité d’inventorier un ensemble de biens, il parait logique qu’elle soit précédée par l’élaboration exacte des comptes et la «purge» des irrégularités, afin de définir avec précision la masse des biens à dénombrer.

Citons au passage la représentation des HqAw dans le mastaba de tpmanx (05e dyn., époque de Sahouré : voir Cherpion, Datation, p. 227 et 235), situé dans la nécropole de Saqqara, au Nord de la pyramide à degrés (PM 3:2, p. 483 – 4; mastaba D11). Elle fait partie d’une scène de marché ayant orné la chapelle funéraire, dont les fragments sont actuellement répartis entre différents musées. Ceux-ci ont été réunis à l’occasion de l’exposition itinérante consacrée à l’art de l’Ancien Empire (Paris, New York, Toronto) et Peter der Manuelian en fit la reconstitution. La partie de la scène qui nous intéresse représente un défilé de HqAw (sans autres titres) encadrés par des gardes qui les rudoient et les menacent. Certains gardes portent un titre parmi lesquels sA pr. La partie droite du registre où devaient prendre place les officiels tenant audience manque : il ne reste sur le fragment Caire CG1541 que la mention ..f n  pr-Dt au-dessus d’un personnage accroupi (vraisemblablement un scribe) qui tourne le dos aux comparants. Il ne s’agit donc pas de la DADAt nt pr-Dt mais bien de la partie subsistante d’une phrase construite sur le modèle de (int nDt-Hr nt nwwt).f n(t) pr-Dt

Force est de constater d’autre part que nombre de tombes contiennent des représentations de DADAt  nt pr-DT auxquelles les HqAw sont étrangers. Le Conseil est soit figuré seul, sans comparants, en activité ou défilant, soit lors de la comparution d’un comparant isolé ou d’un ensemble de comparants. La composition de la DADAt est variable quant au nombre et à la  qualité de ses membres (voir également ci-après). A la DADAt «nucléaire» (imy-r pr, sS, iry mDAt) viennent se joindre ou se substituer  des scribes à des grades divers, dont certains possèdent une qualification en matière juridique : sAb sHD sS, sAb sS,  sS ou sont actifs dans la gestion des greniers, des oiseaux : sS Snwt, sS apdw ou des équipages : sHD sS aprw. D’autres se meuvent dans la sphère des documents royaux : sHD sS a nswt, sS a nswt.

Quelques personnages semblent occuper une place particulière, dans la DADAt ou à la périphérie de celle-ci : ainsi, les nxt xrw (n Snwt) : crieurs ou «tally-men» (Moreno Garcia, 1999, p. 222, 225 etr notes 54 et 55);  les xAw : mesureurs;  les sHD Hm-kA : serviteurs du kA (Allam, 1985, p. 1-15) et, dans un mastaba, les sS n pr-HD (scribes de l’administration du Trésor qui seraient chargés de «surveiller et de contrôler l’administration et les ressources locales au cours de tournées en province» : Desplancques, 2006, 187 ).

Parmi les assistants, notons les sA-pr, que  Philip-Stéphan (2008, p. 17, note 42) assimile au bras armé du fisc, «chargés d’infliger la bastonnade lors de la reddition des comptes», et que l’on traduit par «policier ou gendarme», Andreu (LA 1069) y voyant (à l’Ancien Empire) «une police auxiliaire de l’économie et de la justice». Quant aux comparants qui ne portent pas le titre de HqA, il peut s’agir d’un imy-r Snwt isolé, ou de responsables d’équipages (imy-r iswt,  xrp iswt).

 

La bastonnade

Un autre élément caractérisant la scène qui nous intéresse est la bastonnade, thème qui n’est pas  fréquent dans l’iconographie des tombes de l’Ancien Empire. Harpur (1987, p. 169; voir également Kanawati, Deir el-Gebraoui, p. 70) signale pareil châtiment dans les tombes de ibi à Deir el-Gebraoui, tti-iqr à El-Hawawish, ppi-ankh-Hr-ib à Meir et xntikA ixxi à Saqqara. Parmi ces sources nous retiendrons la scène figurant dans le mastaba du dernier nommé, construit postérieurement à celui de Mererouka, dans le même secteur («Teti pyramid cemetery» : voir Porter & Moss, 3:2, 508-511, plan LIII, salle I, emplacement 15, registre II; James & Apted, 1963). Elle est consultable sur le site de l’Institut Français d’Archéologie Orientale http://www.ifao.egnet.net/bifao/91/ dans l’article de Beaux sous la référence 02.pdf. (voir fig. 3).

Trois personnes sous un dais occupent la partie gauche de l’espace. A l’extrémité prend place le dénommé  ixxi, agenouillé dans la position typique du scribe, tenant un document.  L’intéressé  porte les titres : smr wati et Xr-Hb (Strudwick & Leprohon, 2005, n° 216, text C). Lui font face, sous le dais, 2 scribes occupés à écrire, portant chacun le titre sS n pr-Dt. Viennent ensuite 5 comparants, dont 3 sont prosternés et 2 marchent courbés, la main droite tenue par un garde. Les comparants sont tous HqA Hwt  et ne portent pas d’autres titres. Ils se caractérisent par un embonpoint marqué, qui les différencie de la morphologie svelte des autres acteurs de la scène. Un des comparants a le sexe apparent. La scène se termine par une bastonnade. A la différence de la scène chez Mererouka 2 personnes sont agrippées au même poteau sommé de têtes d’étrangers (Beaux o.c., p. 40). Les condamnés sont nus. Le bâton manié par le garde exécutant la bastonnade est d’une dimension supérieure à celui de ses collègues. Le châtiment est assorti d’un commentaire : Htpw nfrw n kA.k – n iw mitt  que Beaux traduit : «de beaux cadeaux pour ton kA – jamais rien de semblable n’est arrivé»! Ce commentaire allié à l’aspect physique des administrateurs de domaines donne une connotation satirique à la scène.

La question de l’identité de ixxi se pose, dans la mesure où deux personnages nommés xntikA – ixxi se partagent la tombe (Kanawati 2003, p. 89) : le premier est vizir, sa titulature complète étant consultable chez Strudwick (1985, p. 125) tandis que le second pourrait être son fils, s’agissant du ixxi de notre scène laquelle fait face au vizir.

 

Conclusion

Stylistiquement, la scène du mastaba de Mererouka s’apparente à celle du mastaba de Khentika : autorité se tenant sous un dais soutenu par des colonnettes lotiformes, défilé de HqAw avec personnel d’encadrement,  bastonnade. C’est à juste titre que Kanawati (Deir el-Gebraoui, p. 70) suggère une filiation entre les scènes, compte tenu également du contexte global dans lequel elles se meuvent (activités relatives à la pêche). Il existe toutefois de sensibles différences, dont la moindre n’est pas la composition du collège formant l’autorité (ce que Beaux qualifie de «structure judiciaire» : o.c. p. 38): dans le cas de Khentika, il est présidé très vraisemblablement par un membre de la famille du titulaire de la tombe, qui porte les titres de smr wati et de Xry-Hb, les 2 autres membres étant scribes du pr-Dt (sS n pr-Dt), tandis que dans le cas de Mererouka, nous avons affaire à un sAb imy-r (sS), Hry sStA n ist aAt assisté d’un sAb sS et d’un imy-r pr.

D’une manière générale, l’on constate un manque d’uniformité dans la composition de la DADAt nt pr-Dt sauf en ce qui concerne la participation des scribes et archivistes qui font partie de la grande majorité des représentations. Les différentes actions auxquelles procède la DADAt vont de pair avec une composition modulée de ce Conseil :

ipt (recensement) : imy-r pr, sS, iry mDAt, nxt xrw n Snwt, xA

Hsb (reddition des comptes) : imy-r pr, sS, iry mDAt

-(Hr) xA (mesurage) : sS, nxt xrw n Snwt

-Ssp (réception de produits) : imy-r pr, sS, iry mDAt, xA, sHD Hm kA, nxt xrw, sA pr

Le mastaba de Ti contient une représentation de la DADAt nt pr-Dt sans mention de l’action (Osirisnet, p. 2, photo cpo_p2a). Ses nombreux membres, qui prennent position dans une construction avec colonnettes similaire à celle de Mererouka  et de Khentika occupent trois registres. Une partie d’entre eux se dirige vers Ti qui observe la scène (mAA) apdw (n) Hr(w)t n pr-dt in smr wati Ti, en compagnie de sa famille. Il s’agit de sAb sHD sS, imy-r pr, sHD sS a nswt, sS aprw, et de iry mDAt. D’autres personnes se dirigent en sens inverse, s’éloignant de Ti, s’agissant de nxt xrw et de sS apdw. L’on a l’impression d’une partition entre les membres de la DADAt, certains ressortant de  la sphère de pouvoir de Ti et d’autre pas (dont les nxt xrw que Moreno Garcia estime «dépendre directement de la Résidence, du roi ou des bureaux du vizir») (Hwt, p. 225-6).

Enfin, signalons encore la DADAt nt pr-Dt dans le mastaba de kAimanx (Junker, Giza, fig. 9) comptant 2 sS (n) pr-HD dont le «président», qui est le fils aîné du défunt (sA.f smsw). Ces scribes du Trésor font toutefois partie d’une administration centrale dans laquelle ils occuperaient une fonction itinérante, selon Sophie Desplancques (voir plus haut).

Outre le fait que nombre de scènes sont muettes quant à la dénomination du Conseil, quant aux titres précis que portent ses membres et quant à la nature de l’action représentée, l’on se pose des questions concernant la variabilité dans la composition de la DADAt et le caractère d’une institution qui peut compter des proches du propriétaire de la tombe, au niveau local, en concomitance avec des fonctionnaires de l’administration centrale (nxt xrw, sS n pr Hd). Nous avons voulu, par le biais de la scène dite «de reddition des comptes» du mastaba de Mererouka, attirer l’attention du lecteur sur un terreau riche en potentialités de recherche.

 

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